Le départ de cette course de 250 kilomètres se fait de Grand Mormont dans les Ardennes.
Le départ est à 18h un vendredi soir. J’arrive bien en avance mais la neige tombe. Ma voiture est très difficile à contrôler. Je manque d’emboutir un 4×4 à un feu. Je grille plusieurs stops dans des descentes. Heureusement qu’il n’y a pas trop de circulation. Je vois le panneau Mormont 2 kilomètres. Je suis bien content. Malheureusement il y a une petite côte toute enneigée à ce moment là. Ma voiture patine. Je coupe le moteur et elle redescend toute seule en arrière. Pas moyen de repartir. Il y a un parking. J’abandonne ma voiture, prends mes sacs et fini à pied. Arrivé dans le village, pas de trace de check point ou d’activité particulière. Je cherche dans mon GPS où ça peut être et là, catastrophe. Je ne suis pas dans le bon Mormont. Non mais quel con, je me dis que si j’étais parti avec Manu ce genre d’idiotie n’aurait pas pu arriver. Je repars vers ma voiture, la mort dans l’âme, c’est impossible que j’arrive à repartir, je vais dormir sur place en espérant que la neige ait fondue dans la nuit.
Et alors là, miracle légendaire, Tim, un des organisateurs de la course m’appelle et me demande où je suis. Je lui explique la situation et il me dit d’attendre, il envoie un 4×4 et je pourrais partir avec quelques dizaines de minutes de retard. Je n’aurais absolument pas pensé par moi même à ce départ différé mais l’idée m’enchante. Au moins je ne suis pas venu ici pour rien. C’est bien.
Environ 1 heure après un énorme 4×4 arrive. C’est Steven, le mari d’une des coureuse. Il est très sympa. C’est un militaire flamand. Sa voiture tient bien la route mais ça nous prend quand même près d’une heure pour faire les 30 bornes qui nous séparent de Grand Mormont.
A Grand Mormont je retrouve Robin un Spiner avec qui faisait partie de l’équipe retenue à Middleton in Teesdale lors du dernier Spine. Il était arrivé au CP d’Alston avec 6 secondes d’avances sur la barrière horaire et les organisateurs n’ont rien fait pour l’aider. Il a du repartir sans profiter du check point et avec Sharon, dans la même situation que lui, et il s ont réussi à aller jusqu’au bout de la course. Un héraut ce Robin pour moi.
Je remplie mes gourdes, fait le check in, un petit contrôle médical et Robin m’accompagne jusqu’à la ligne de départ. Robin nous fait un selfie, on n’est que 2. Je pars dans la nuit. Je suis hyper content. je me dit qu’avec toute cette générosité, j’ai un devoir moral d’aller jusqu’au bout.
Départ – CP 1 Hotton – 61 km
Je démarre sans stress, inconscient de la difficulté de cette course, le chemin est facile à suivre grâce à la trace dans la neige. Il y a pas mal de passages où je me casse la figure, les descentes sont hyper glissantes, le sol gelé et la neige n’aident pas. Le chemin est un joli monotrace qui longe une rivière, c’est l’Ourthe, c’est bucolique mais malheureusement la nuit et la course n’incitent pas à la contemplation.
Très peu de trace de civilisation sur la trace. Je suis parti avec 1.5 litre de boisson et ce n’est pas assez. A La Roche-en-Ardenne je trouver un café ouvert et j’y rempli mes gourdes. Une femme très alcoolisée me prend dans ses bras, je quitte cette Circé bien heureux d’avoir une course à finir…
Juste en sortant du bar je rencontre Tim de l’organisation. Il y a un petit check point où on peut remplir ses gourdes. Stef est là aussi, il me propose des crampons pour mieux accrocher dans la neige mais je les refuse car ça ne me semble pas nécessaire, je préfère aller tout doucement quand c’est vraiment glissant. Je suis content de faire partie de cette aventure. Tim me dit que je suis environ 30 minutes après la barrière horaire. J’ai remonté plus d’une heure sur les 30 premiers kilomètres. Il me dit aussi qu’un petit groupe est juste devant moi et que ça va être beaucoup beaucoup plus roulant jusqu’au check point.
Des 30 kilomètres suivant je me souvient surtout de longues allées forestières, de l’apparition du désir de dormir, d’une micro sieste au bord d’un tas de bois et d’une autre micro sieste sur un banc en plein vent. Je dépasse le deuxième concurrent depuis le départ. Il a l’air gelé et c’est vrai que ça caille. J’hésite à prendre ma primaloft que j’ai dans mon sac mais je me dis que le mieux est de ne pas ralentir pour ne pas laisser le froid me transpercer.
Je me traîne dans une descente très glissante quand Tim m’appelle pour me prévenir que je suis à 3 kilomètres du check point et qu’il me reste 45 minutes avant la barrière horaire. Ce coup de fil me booste et j’essaie de courir tout ce qui est courable pour arriver le plus tôt possible au CP. Malheureusement je commet une stupide erreur de navigation en tournant à droite au lieu d’aller tout droit juste après ce joli petit pont de pierre sur l’Isbelle. Je fais plus de 500 mètres dans la mauvaise direction avant que mon téléphone ne sonne. C’est un gars de l’équipe de sécurité qui me dit que je dois d’abord passer au CP et que je ne suis pas sur le on chemin. Ça m’embête car je suis juste au niveau barrière horaire mais je ne me démoralise pas et essaie d’arriver le plus vite possible à Hotton.
A Hotton je suis accueilli chaleureusement par Tim qui me dit que j’ai 2 minutes de retard sur la BH mais que je vais pouvoir continuer quand même après m’être restauré. Il y a une bonne ambiance. Robin me remplie mes gourdes avec de l’eau chaude. Je croise Michael, un spiner organisateur de la fameuse Goldsteig Ultrarace, une course de 661 kilomètres en Bavière. Il a abandonné car il avait l’objectif de battre le record de l’épreuve et était en retard sur son tableau de marche au premier CP.
Tim m’annonce le prochain check point dans 50 kilomètres et que j’ai 12 heures pour l’atteindre. La section est assez roulante. Il pense que je vais pouvoir maintenir une vitesse de 5 kilomètres par heure et ainsi arriver avec 2 heures d’avance sur la barrière horaire suivante.
CP 1 Hotton – CP 2 Oneux. 50km
Je redémarre assez doucement, j’ai trop mangé, trop vite, à Hotton et je me dis qu’il ne faut pas que je coure pour prendre le temps de digérer. Moment pénible qui dure 2 heures. J’ai un peu la nausée. Je trouve que je ne vais pas assez vite et que c’est vraiment dommage que je sois parti avec 1h45 de retard au départ. Je voudrais avoir un peu plus de temps.
A peu près à mi chemin, je crois que c’était près de Bomal, il y a un mini check point. C’est cool. Je m’assied dans une chaise de camping et les gars me proposent un coca et aussi une bonne soupe chaude à la tomate. C’est parfait. Ils me disent que je suis à 10 minutes d’une paire de coureurs et qu’il reste 26 kilomètres avant le check point. Je repars avec l’objectif de rattraper ces 2 coureurs. Cet objectif me motive bien et je cours pas mal quand c’est possible.
Ça me prend des heures pour les rattraper. C’est dingue. Je les rattrape aux environ du village de Hamoir. C’est un couple d’italiens de Bergame, Michel et Simonetta. Simonetta est un peu blessée et ils ont décidé d’arrêter au prochain CP.
J’essaie de les doubler mais je n’y arrive pas, je réalise que j’ai très mal aux pieds, des ampoules en veux-tu en voilà. On discute un petit peu en italien, c’est très agréable pour moi. Ils sont très sympa et n’apprécient pas vraiment le parcours. Pour eux il y a trop de petites montées.
La nuit est tombée quand on arrive à Comblain-au-Pont. On espère que le CP n’est plus loin, ça nous semble interminable. Il y a encore un ou 2 sacrés coup de cul avant d’atteindre le CP d’Oneux.
Je suis arrivé après la barrière horaire mais j’avais déjà décidé d’arrêter de toute façon. Trop d’ampoules, trop mal aux pieds. C’est dommage car j’aurais vraiment bien aimé entamer une deuxième nuit blanche. J’étais relativement frais et tout à fait en mesure de continuer. Dommage, mon démarrage tardif et mon erreur de chaussettes m’auront été fatal. J’arrête avec juste la certitude que j’y reviendrais. Cette course est sublime. Elle est très difficile mais je crois qu’elle est à ma portée. J’y retourne en 2019 si The Spine de janvier ne m’entame pas trop, maintenant mon problème est de trouver une autre course fabuleuse d’ici là.
Épilogue
Après mon DNF (Did Not Finished) j’ai été ramené au HQ (Head Quarter) de la course par Avery. Les bénévoles sur cette course sont vraiment super. Avery vient des Pays-Bas chaque année pour accompagner les coureurs et ceux qui abandonnent. Au HQ j’ai été pris en charge par la très gentille maman de Stef. J’ai bien dormi dans un bon lit et le lendemain Avery m’a ramené à ma voiture à 30 kilomètres de là.
Avant de repartir j’ai discuté un peu avec Stef. Une barrière horaire calculé sur 4 kilomètres par heure, cela parait stupide mais en fait c’est pas si facile que ça. Pour Stef Legends 250 c’est une course anglaise. Il n’y a pas d’équivalent sur le continent. Je suis d’accord.
Postlogue.
- C’est sur que je vais retourner sur cette course légendaire. Il y a quelque chose là bas d’unique et indéfinissable que j’ai hâte de retrouver.
- La vitesse de 4 kilomètres par heure est un vrai challenge sur une distance de 250 kilomètres. Si on tient les 5 km/h cela donne 2 heures de repos toutes les 10 heures de course. Ça n’a pas l’air compliqué sur le papier mais je vous assure qu’il n’en est rien.
- Le parcours est super. On est souvent sur un beau GR mais quand le GR passe par le bitume Tim a cherché des variantes qui permettent d’éviter l’asphalte. Il y a beaucoup moins de forêt que ce que, je craignais, pour ceux qui connaissent ça ressemble plus à la Bouillonnante qu’au trail des Trappistes.
- Le problème avec un départ tardif est que j’ai passé le plus clair de mon temps tout seul, sans repère de vitesse relative, sans camarades avec qui échanger. J’ai bien supporté cette solitude, elle m’a fait penser à ma dernière journée sur The Spine, seul et dernier concurrent. Un motif un peu trop récurrent cette année, il faut vraiment que j’augmente ma vitesse de croisière.
- C’est dingue que j’ai pu faire une aussi grossière erreur de débutant quand au choix de mes chaussettes. Je suis parti avec des grosses chaussettes IceBreaker en mérinos mais sans fine chaussette à l’intérieur. Les fines chaussettes évitent les frottements et donc les ampoules. Comme quoi ma vie d’un ultra runneur n’est pas une tranquille capitalisation d’expériences mais est marquée par de sombres régressions.
- Avec Tim j’ai vraiment eu un ange gardien sur cette course. Sans lui je ne serais sûrement pas allé si loin et pour lui j’aurais vraiment voulu finir. Dommage que mes pieds m’aient lâchés si tôt.
Permaliens
Salut
Je me suis inscrit sur cette course .
Ton retour detaillé sur le materiel m’intéresserait beaucoup.
Merci