J’avais plusieurs objectifs en arrivant au départ du Montane Legends 500. D’abord vivre une expérience spirituelle, la dissociation et tout ça et d’autre part réfléchir sur des trucs comme le rapport à la nature. J’avais envie de vivre une expérience la moins compétitive possible. Il y a la un paradoxe, la compétition se rappelle toujours à nous, ne serait-ce que sous la forme de la barrière horaire. Il faudrait d’ailleurs peut-être aller voir la définition du mot compétition, c’est sans doute plus riche que ça n’en a l’air.
Je n’avais pas fait de préparation spécifique, au contraire même, j’avais l’impression de ne plus courir depuis plusieurs mois mais j’avais très envie de durer le plus longtemps possible sur la course, atteindre l’état limite que j’aime tant. Mon état d’esprit était très bon, j’avais bien dormi la semaine précédent le départ. Quand même, juste avant de partir la distance m’impressionnait beaucoup. 500 kilomètres c’est un peu n’importe quoi.
Le premier jour s’est bien passé, j’étais content d’être là, que ça commence enfin. La question des 500 kilomètres complètement oubliée, juste remplacée par l’étape du jour. J’ai assez eu vite l’impression que mon corps était présent au rendez-vous, que j’allais pouvoir compter sur lui. J’avais mal aux reins avant de partir mais la douleur s’est très vite estompée. A la tombée de la nuit je me régale d’une délicieuse omelette Ardennaise à la Roche En Ardennes, j’ai envie de clops, je cherche un night shop, je n’en trouve pas, Dany, un volontaire de l’organisation part m’en chercher pendant que je mange, c’est vraiment sympa. Le parcours n’est pas roulant du tout, notamment le fameux passage du Hérou, compliqué en plus par plein de sapins tombés en travers du chemin, j’arrive assez tard au premier Check Point.
Au début du deuxième jour je pars derrière un couple de hollandais.
En début d’après midi de ce deuxième jour, je commence à faire équipe avec Carlos, un espagnol que je connaissais déjà du Spine, je me souviens de ses larmes en 2018, de l’injustice qu’il avait ressenti lorsqu’on l’avait empêché de continuer.
En fin d’après midi on s’est choppé la fin de la tempête Ellen, rien de très spectaculaire mais du vent et surtout des heures d’une pluie fine qui transperce tout. Carlos a mis sa Primaloft et moi ça m’a amusé de ne pas la mettre, j’ai rarement eu aussi froid, je grelottais, je tremblais, j’essayais d’avancer le plus vite possible tant pour générer de la chaleur en brûlant des calories que pour retrouver la chaleur du check point. Je me disais qu’il ne faisait pas si froid que ça et que rien ne justifiait que l’on s’arrête pour que je sorte la Primaloft du fond de mon sac. Rétrospectivement je crois que j’ai joué au con. Plusieurs gars se sont retrouvés en hypothermie et certains ont même du abandonner à cause de ça. Cela dit je déteste m’arrêter pour bricoler dans mon sac, comme je ne vais pas vite, je ne me permet pas de m’arrêter à tout bout de champ.
Je ne me souviens plus précisément de notre heure d’arrivée au check point ce soir là, on dors 2 heures je crois et on repart assez tôt. Le troisième jour devrait être facile, 65 kilomètres environ, on met quand même un temps fou parce qu’il y a beaucoup de dénivelé, c’est beaucoup moins roulant que le deuxième jour. On ne fait pas gaffe à nous, on se renforce l’un l’autre dans l’idée que c’est long, surtout sur la fin, quand il ne reste plus que 20 kilomètres et que ça devient interminable. Heureusement on ne reproduira pas cette erreur. Le lendemain soir, quand c’est dur encore, je dis de temps en temps à Carlos des trucs du genre « qu’est-ce qu’on est bien là », où « comme ce paysage est beau », le truc c’est de vivre l’instant, de se rappeler toujours qu’on est heureux de faire ce que l’on a choisi de faire. Carlos est un très bon compagnons, pas plus rapide que moi (un chouïa plus lent peut-être), on se marre souvent, il est très souriant, il revendique une attitude positive en toute circonstances, bon navigateur et presque infatigable, je ne pouvais pas trouver mieux. Il y a des réflexions de Carlos qui m’ont fait beaucoup rire, souvent il a dit, les gens ne sourient pas, ils doivent être malheureux, il est sensible à la misère mais c’est sans beaucoup de compassion. Une fois il a dit, en sortant d’une boulangerie très chic avec une vendeuse très avenante, voilà un village où les gens sont heureux. Il savait qu’il allait me faire rire avec sa réflexion. Effectivement j’ai beaucoup apprécié.
Fin du troisième jour, Carlos traînait la patte, je le lâche sur les derniers kilomètres.
Une anecdote marrante, après mon abandon, Carlos a continué avec Allan et Allan est arrivé seul au CP 6 où je les attendais, Carlos avait perdu la tête, et la preuve pour Allan c’est quand Carlos a dit, quand il ne restait plus que 16 miles (25 kilomètres – au minimum 6 heures de progression dans les marécages quand on a déjà 400 kilomètres dans les jambes), un truc du genre « c’est super, on est bientôt arrivé ». Ce qu’Allan a pris pour un coup de folie c’est tout à fait le genre de trucs qu’on se disait avec Carlos, des paroles positives, du partage de confiance, de belles choses.
Les journées se succèdent et se répètent. Après 2 heures de sommeil je me réveille sans aucun état d’âme, je suis dans la course, j’essaie de ne pas perdre de temps tout en le prenant. Je ne sais pas pourquoi mais je repense aux Hutus qui partaient chaque matin à la chasse aux Tutsies, un travail pour eux, une évidence de chaque jour, c’est dans une émission de radio que j’ai entendu ça. Ils ne se posaient pas de questions, savaient ce qu’ils avaient à faire, comme moi sur les chemins ardennais. Après que nous soyons partis Carlos disait à peu près toujours la même chose, que le jour compliqué allait être le cinquième, les plus de 80 kilomètres dans les marécages. Que aujourd’hui ça allait être facile, qu’on devrait arriver vers 21h ou 22h au check point suivant. Le midi on s’arrête dans un café pour manger quand on en trouve un. Une équipe de 4 flamands nous double tous les jours avant midi, ils connaissent tous les lieux de restauration sur le parcours, il nous disent combien de kilomètres il nous reste pour les atteindre. Vers midi nous sommes généralement un peu déçu par le faible nombre de kilomètres que nous avons parcourus depuis notre réveil, nous savons déjà que l’objectif de 21h est à l’eau. Nous ne nous arrêtons jamais mais nous sommes trop lents. L’après-midi passe très vite, nous profitons de la lumière du jour. Quand la nuit tombe minuit devient l’objectif. Ça commence à être dur, il reste encore beaucoup de kilomètres. Après 22h c’est la galère, et après minuit très compliqué. C’est Carlos qui fait la navigation, souvent je m’endors sur place, il m’appelle pour me réveiller, je le retrouve grâce à sa frontale, ça se répète plusieurs fois, il me donne des cachets de caféine mais ça ne change pas grand chose. Je crois qu’il doit m’attendre beaucoup, je n’en sais rien en fait, je ne sais pas si je dors longtemps pendant mes absences.
Début du quatrième jour dans les fagnes
Le soir du cinquième jour c’est terrible, j’ai essayé de changer les batteries de mon GPS sous la pluie et ça a provoqué un court circuit, GPS hs. Le parcours est très beau, on longe la Hoëgne, il y a 20 cm de neige fraîche pour faire un beau paysage. Je m’endors très souvent. Finalement à 1 ou 2 kilomètres du check point je me réveille seul dans la nuit, Carlos a disparu, je suis heureux, je ne prends pas le temps de faire de photo mais les brins d’herbe qui dépassent de l’épais tapis de neige se sont eux même chargés de neige, on dirait des formes animales, je pense à des têtes de renards, je déguste ma solitude dans ce paysage onirique, le silence, le blanc de la neige, la nuit, la lumière de la frontale, le chemin.
PS
- La fin de l’aventure c’est mon abandon sur le Legends 500
- J’ai aussi un écrit un compte rendu matos du Legends 500