La veille de mon abandon, la fin de la cinquième journée sur les chemins ardennais avait été assez éprouvante, je m’endormais littéralement en marchant, je perdais conscience, quand je revenais à moi Carlos était souvent déjà loin, souvent il était en train de crier pour me dire d’avancer, il me gavait de cachets à la caféine mais c’était sans effet. Finalement je me suis trouvé tout seul, au milieu de la nuit sur un plateau recouvert de plusieurs dizaines de centimètres de neige, il y avait une trace, je l’ai suivie comme un idiot, j’ai fini par quitter la trace (celle de la course, celle qu’il faut suivre) de plusieurs centaines de mètres, mon téléphone a sonné, c’était l’organisation qui me signalait mon erreur. Je suis revenu en arrière, mon GPS était cramé (rappel pour moi même : ne jamais changer les batteries d’un Etrex sous la pluie battante), le GPS de mon téléphone ne fonctionnait plus non plus, j’ai essayé de rappeler l’organisation pour un radio guidage mais en vain, heureusement, Manu m’a sauvé et j’ai pu atteindre le check point très tard dans la nuit grâce à son intervention téléphonique. Quand je suis arrivé au check point Carlos m’a dit que l’on repartait dans 2 heures avec Allan, j’ai dormi une heure avant de me repréparer à sortir, j’ai gardé mes chaussettes pour ne pas perdre de temps à mon réveil, je me suis couché tout habillé, prêt à repartir. A mon réveil il m’est arrivé un truc nouveau, je n’avais pas envie de sortir du lit, j’avais besoin de dormir plus, mais je me suis fait violence, abandonner dans un lit c’est comme mourir dans son lit pour un guerrier du moyen âge, un truc nul quand même.
Donc nous voilà dehors à 4H30 pour au moins 24 heures de galère sur des hauts plateaux marécageux que je connaissais pour les avoir parcourus en été (GR 573 Vesdre – Hoëgne – Helle et Hautes Fagnes). On démarre doucement, ça va, je suis content de repartir, à part le manque de sommeil, je suis en pleine forme, pas de problème d’énergie, pas trop mal aux pieds… Assez vite Allan râle que l’on ne va pas assez vite et il imprime un pas de marche forcée à notre petit groupe. J’arrive à suivre. Carlos me demande assez souvent si ça va, je lui dis oui puis tout d’un coup je lui dis non, je leur dis qu’on va trop vite, que je ne vais pas pouvoir maintenir ce rythme pendant 24 heures. Ils sont assez emmerdés, ils ne veulent pas que j’abandonne car le règlement oblige à des groupes de 3 pour cette section dangereuse et très difficile à atteindre, et ils ont peur que cela les empêche d’avoir le droit de continuer. Je mesure une grande différence entre eux et moi, moi je m’en fiche un peu de finir, je veux tout donner avec l’objectif d’aller le plus loin possible, d’explorer mes possibilités, pas forcément de finir. Pour eux c’est manifestement une motivation majeure. Ça m’embêterait beaucoup qu’ils ne puissent pas aller au bout de leur affaire à cause de moi, un petit sacrifice pour moi, un grand espoir pour eux, l’intérêt égoïste ou l’intérêt collectif ?
Après 2 heures de marche dans la neige, on atteint le signal de Botrange, le point culminant de Belgique, une équipe de l’organisation est là, ils nous demandent si tout va bien, on leur explique que pas trop, que ça va être dur pour moi mais qu’ils ne veulent pas que j’abandonne pour ne pas être obligé d’abandonner eux aussi. Les gars de l’organisation disent que si j’arrête ils peuvent continuer, je n’hésite pas longtemps, j’ai la larme à l’œil, je serre Carlos et Allan dans mes bras et je leur souhaite bonne chance.
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Permaliens
Yann, pour avoir suivi ta course cette semaine, en regardant le profil et les lieux – perdus – traversés, la météo ( tes pieds ? ), je suis admiratif de ta course . Tu m’as donné envie !!!
Permaliens
Merci Jean pour ton commentaire ici. Je regrette l’époque où les commentaires sur les blogs étaient la norme. Maintenant, ça se passe sur Facebook les commentaires. Pour cet articles ils sont là : https://www.facebook.com/yann.lhostis.7/posts/10159206798652656
D’ailleurs, je vais peut-être inclure ça à la fin de mes articles maintenant, surtout quand les commentaires sont intéressants.
Permaliens
Félicitations Yann.
Ce que tu as fait est impressionnant surtout en cette période avec la météo difficile. Tu as dû ressentir toutes les sensations qu’un humain peut ressentir. Encore bravo même si 365 km c’est pas les 500 mais c’est ouffff. Reposes toi maintenant.
Permaliens
Notre Yann ! Y a rien a dire a part bravo ! Tu me fais rêver quoi que tu fasses, en mode tortue, en mode Energizer, en mode bonhomme de neige…. BRAVO pour chaque mm
Permaliens
Bravo Yann, une sacrée AVENTURE et un sacré DÉLUGE pour toi et t’es acolytes de Galère.
Aux de te revoir en CDH