Bon, bien avant le départ, j’étais à peu près sur de ne pas finir cette putain de TDS et j’en ai fait bien des cauchemars comme celui de me réveiller au milieu de la nuit, plus dans la course mais encore en Italie. J’avais vraiment l’impression que c’était présomptueux pour moi, qui suis un ultra traileur encore un peu débutant, de me lancer sur cet exercice que l’organisateur considère comme plus dur que le grand UTMB.
Bon donc vous savez déjà que j’ai réussi à passer l’épreuve en 31h10 et j’ai déjà pas mal écrit sur cette TDS (Tour des Ducs de Savoie et tout le monde s’en fout, TDS ça suffit) avec mes états d’âme lors de la préparation de la TDS, mes considérations sur le matériel obligatoire. mes rencontres lors de la TDS et même mon apparition dans le Dauphiné libéré. Donc place maintenant au récit de cette course.
Avant le départ – de Chamonix à Courmayeur en bus par le tunnel du Mont Blanc.
J’ai pris un bus de l’organisation qui partait à 3h30 de Chamonix (il y a moyen de partir à 4h pour les plus rapide dans leur réservation, j’ai du rater une étape) et on est largué près d’un centre sportif à Courmayeur. J’ai pu boire un vrai café italien au bar de l’endroit et aussi manger un cornetto con crema pas du tout paléo. Le temps est passé beaucoup plus vite que prévu avant le départ à 6h. Au moment du départ on peut déposer 2 sacs, un sac qu’on va récupérer au Cormet de Roselend et un autre à l’arrivée. Pas besoin de partir avec sa frontale, la ville est éclairée, le jour se lève et il va falloir assurer une grosse montée.
Courmayeur 1220m – Col Checrouit 1956m – 7km.
Au départ je me suis placé dans la fin du sas car comme Jean Paul venait de m’apprendre, le pierrier dont beaucoup de compte rendus parlent, juste après le col de Checrouit, ne fait plus partie du programme de la TDS et il n’y a donc pas trop de ralentissement à attendre et donc aussi pas de raison de se magner le cul au départ.
Le départ se fait après 2 ou 3 discours. L’ambiance est quelconque. La sono n’est pas poussée à fond sans doute pour ne pas réveiller les habitants de Courmayeur.
On tournicote un peu dans les rues endormies de Courmayeur (il est 6 heures du matin) et après un ou 2 kilomètres on attaque la montée vers le col Checrouit. C’est un sentier assez large qui nous permet d’atteindre le premier col. Les excités peuvent doubler s’ils le veulent mais ils sont très minoritaires sur la fin du peloton et comme je suis assez vite abordé par Christophe, un gars qui vient de passer au régime paléo, le temps passe très vite.
Je prends un peu de temps pour me souvenir que 33 ans plus tôt j’avais descendu cette piste de ski avec mon père, mort tout récemment, lors de notre tour du Mont Blanc. Je m’en souviens assez bien de cette étape, du refuge Elisabetta à Courmayeur, c’était la préféré de feu mon père en particulier pour la vue imprenable que l’on a sur le Mont Blanc.
De 1982, je me souviens de la grappa des guides du refuge Elisabetta. Je ne me souviens pas de l’avoir bue et je me demande si mon père m’avait accordé ce privilège. J’avais 15 ans et ce Tour du Mont Blanc était un peu un rite initiatique. C’était l’entrée dans l’âge adulte et mon père en était le grand manitou. Vu comme ça j’ai du gouter à la grappa des guides mais en fait je ne m’en souviens pas.
J’arrive au Checrouit sans encombre et assez rapidement. Le temps est passé très vite grâce à Christophe, un traileur d’Armentières (La devise des gars du coin est superbe : Armientiérois pauvres mais fier) qui s’est mis récemment au régime paléo, vous imaginez la teneur de nos discussions.
Au col Checrouit, je suis effaré de voir un traileur se faire un autoportrait au coté d’une vache en plastique alors qu’il y en a plein de vrai au bord du chemin. Je ne m’arrête pas au ravito du Checrouit car mes bidons sont encore bien plein.
Col Checrouit 1956m – Lac Combal 1970m – 9km – Val Veny.
Cette section est encore en montée entre le Col Checrouit et l’arrête du Mont Favre.
Le sentier est moins large qu’entre Courmayeur et Checrouit et même si la section épouvantable pour le peloton où les traileurs pouvaient perdre jusqu’à une demi heure dans les bouchons ne fait plus partie du programme, ça bouchonne un peu quand même de temps en temps.
Ces ralentissements ne me gênent pas car la vue sur le Mont Blanc est sublime et les ralentissements donnent le temps de faire des photos.
La vue de centaines de traileurs à la queue leu leu dans les montagne est un spectacle étonnant. A priori pour moi c’est grotesque tout ces consommateurs de sentiers réuni là, à cause d’une course idiote. Mais en fait ce n’est pas du tout ce genre d’idée qui m’a traversé l’esprit. J’ai eu l’impression d’être devant un tableau biblique, genre fuite en Égypte, tout le monde se meut mais on ne sais pas trop pour aller où ni si cela va servir à quelque chose. Il y a quelque chose d’inutile que j’aime bien dans ce tableau…
Juste avant d’arriver à Bourg Saint Maurice j’ai papoté avec un gars qui fait habituellement partie du top 100 et qui a trouvé que ces ralentissements du début étaient vraiment épouvantables. Pour un gars qui a juste l’objectif de finir avant la limite de la barrière horaire, ce n’était pas du tout gênant et je ne vous encourage pas à vous défoncez au départ pour être tranquille à l’arrête du Mont Favre.
Dans la descente avant le ravito du lac Combal, je perd de vue mon compagnon Christophe même si je ne traine pas dans cette première descente.
Au lac Combal la barrière horaire est à 9h45 et je sort du ravito à 9h05. 40 minutes d’avances sur la BH c’est bien plus que ce à quoi je m’attendais au début. Je ne cherche pas à creuser l’écart et me lance tranquillement dans l’ascension vers le col Chavannes.
Lac Combal 1970m – Col du Petit Saint Bernard 2188m – 20km – Vallon de la Doire de Verney.
Christophe a disparu, je me lance dans la montée entre 2 espagnols et arrive en haut en découvrant que 2 personnes après moi, c’était le pote de Christophe du trail des Bosses. Dommage, on aurait pu discuter.
Au col Chavannes, la vue est sublime et beaucoup de gars prennent le temps de faire des photos. J’en fais aussi en mode panoramique mais elles sont ratées parce que j’éteins mon smartphone Android avant que le panorama n’ait été enregistré et c’est pas comme ça qu’il faut faire.
La descente vers Alpetta est assez longue mais très agréable sur un chemin carrossable sur lequel ont peut facilement courir. Je descend en compagnie de plusieurs filles dont une petite Japonaise qui avance bien. Pas de discussions particulières.
Juste avant le Col du Petit Saint Bernard il y a un petit mur sympa avec plein de spectateurs encourageants.
A la sortie du ravito du Col du Petit Saint Bernard, j’ai 1h30 d’avance sur la barrière horaire. Tout va très bien.
Col du Petit Saint Bernard 2188m – Bourg Saint Maurice 816m – 15km
Cette descente est longuissime. C’est sur une voie romaine avec des pierres glissantes. Pour moi pas du tout agréable mais comme j’ai plus d’avance que prévue sur la BH je ne suis pas stressé et je fait la descente en marchant d’un bon pas, presque sans jamais courir. Beaucoup de monde me double mais cela n’entame pas du tout mon moral.
J’arrive assez frais à Bourg Saint Maurice. Je prends mon temps au ravito, me fait une gourde de Peronin pour la grosse difficulté qui est annoncée ensuite et repars à 15h25, avec encore 10 minutes d’ajoutées à ma marge sur la barrière horaire.
Bourg Saint Maurice – Cormet de Roselend – 16km.
On dit souvent que la course commence à Bourg Saint Maurice et ça tombe bien car je suis euphorique à la sortie du ravito. J’ai la pêche, tout va bien.
SMS envoyé à ce moment là : « Trail de la mort. Descente épouvantable. Je garde tout juste mon avance sur la BH. ».
Bizarre, ce SMS est assez contradictoire avec mon souvenir de pêche et de quasi euphorie. En tout cas à ce moment là je ne suis pas sur du tout de réussir à finir la TDS. J’avais tellement été surpris de ne pas réussir à finir les 10 Peaks un mois avant que finir la TDS me semblait vraiment hors de portée.
La montée jusqu’au passeur de Pralognan est annoncée : 2000m de D+ sur 11km. A faire en plein cagnard. Si on y arrive le reste ne devrait pas poser de problème. Je ne suis pas très confiant car certains abandonnent encore après. Il faut monter mais aussi garder de l’énergie en réserve.
Dans beaucoup de compte rendus que j’ai lu les gars disent qu’ils ont croisé des traileurs qui descendaient alors qu’eux démarraient l’ascension. C’est vrai, j’en ai moi même croisé 3 ou 4 juste à la sortie de Bourg. J’étais vraiment désolé pour eux.
Juste après la sortie de Bourg, mon euphorie s’envole. Le chemin démarre dans le genre voie romaine extrêmement pentue et on y perd son souffle après quelques mètres d’ascension. Genre pire que les terrils de Loos en Gohelle. Je rencontre Clare Holdcroft à ce moment là et je lui dit que ce chemin a été taillé pour des bêtes de l’enfer. Ce n’est pas humain. Elle est d’accord alors qu’elle vient de finir The Spine Challenger cet hiver dans des conditions épiques. J’essaie d’éviter de faire des petites pauses salvatrices même si parfois l’ombre est bien fraiches et si certains de mes compagnons d’infortune en profitent plus ou moins volontairement.
Je fais quand même une ou 2 pauses avant le fort du Truc et j’en profite pour envoyer un SMS :
SMS envoyé à 16h06 : « Je suis sur un nuage. 300m de fait dans la montée de 2000. Ça va très bien ».
Arrivé au Fort du Truc une compagnie est réunie dans l’herbe, à l’ombre et je les rejoint. Le temps se suspend, je ne sais pas combien de temps je reste là mais c’est surement trop long. L’escale est délicieuse, l’ambiance bucolique, la convivialité très forte même si je ne me souviens plus vraiment de mes compagnons du moment, il faut repartir et c’est ce que je fait.
SMS de 17h29 : « Je serai au fort de la Platte dans 40 minutes. C’est hyper dur. J’ai envie de dormir et de vomir. »
Le forts de la Platte est dur à atteindre mais j’y arrive quand même. Ben qui a déjà fait la TDS m’en avait parlé et avait été choqué par la grand mère qui vendait des Mars et du Coca sans rendre la monnaie. Jean Paul, rencontré à Courmayeur m’en avait aussi parlé en me disant que la mère xx (je ne me souviens plus de son nom) faisait un excellent fromage, très réputé à Bourg.
Dans les comptes rendus on parle souvent du tuyau d’arrosage du fort de La Platte et c’est un moment important dans tous les récits de la TDS. Je suis content car j’ai bien profité de ce moment pour ma part. Arrivé au fort, certains filent tout droit (sans entrer dans le fort) et font la queue au tuyau d’arrosage et d’autres entrent dans le fort. Je fait partie des bienheureux qui y sont entrés. Là c’est la cours des miracles, certes le Coca Light y est à 5 euros la canette mais ça vaut vraiment le coup. J’ai bu mon coca au milieu des mouches, des oies et accompagné d’un porc très familier. Un robinet dans un évier de la cour m’a permis de remplir mes gourdes. Les mouches noyées dans une casserole près du robinet étaient indénombrable, l’ambiance très rurale et « authentique » me convient parfaitement, me voilà revenu 40 ans en arrière dans la ferme des Filoches à Thiron Gardais…
Martine (je ne me souviens plus bien si on s’était déjà rencontré avant) se sert d’un Perrier et ne réalise pas que ce n’est pas un ravito de l’organisation et qu’il faut payer 5 euros. Elle boit sans payer et je la dissuade de régulariser la situation car ces gens auront quand même un peu fait les affaires du siècle avec nous (ce n’est pas un problème pour moi, au contraire, l’eau gratuite et le Coca à 5 euros c’est que certains ne savent pas quoi faire de leur argent, tant pis pour eux, et tant pis pour moi aussi…).
C’est en tout cas au Fort de la Platte que j’ai mes premiers souvenirs de Martine, elle est d’ailleurs présente à droite de ma photo « rencontres TDS » et cette Martine est un personnage qui m’aura beaucoup marqué.
Après ce moment de détente au fort de la Platte, je reprend le chemin et je vois que les traileurs qui ne sont pas entrés dans le fort font la queue au fameux tuyau d’arrosage. Il y a une barrière horaire là et donc la possibilité d’être rapatrié. Certains y succombent et c’est pathétique, je veux dire que j’ai perçu la douleur de certains qui ne pouvaient plus continuer à ce moment là. Pour moi ce n’était pas un problème mais j’ai vraiment de la chance.
A 18h02, j’envoie ce SMS à Ben : « Coca à 5 euros mais il rendent la monnaie ». Je ne me souviens plus si ce message a été envoyé pendant ou après la pause à La Platte mais en tout cas il implique une avance de 2 heures sur la barrière horaire.
Pour la suite de la montée vers le Col de la Forclaz et ensuite le Passeur de Pralognan, voici les consignes que m’a envoyé Ben par SMS : « Fait une pause si besoin est puis prend un rythme lent ».
Au fort de la Platte j’avais rencontré Martine et à ce moment là elle m’appelait « chapeau » à cause de mon drôle de chapeau Thaïlandais. On est reparti ensemble du fort et j’ai essayé de rester derrière elle mais elle allait vraiment pas assez vite, je l’ai donc doublé pour adopter un rythme plus adapté à ma fraicheur relative mais je me suis assez vite retrouvé épuisé et je me suis octroyé une petite pause, allongé dans l’herbe. Dès que je voyais Martine surgir d’en bas je me remettais sur pied et la redoublais et me trouvais de nouveau exténué et prenait une nouvelle pause…
Ce petit manège a duré 3 ou 4 fois et ma pause était de plus en plus lascive et mon abandon de plus en plus complet. A un certain moment, Martine, qui devait bien se demander ce qui se passait à dit un truc du genre « c’est le club med ici » en faisant référence au fait que certains étaient en train de gravir la pire difficulté de la TDS pendant que d’autres faisaient le malin, lascivement allongés dans l’herbe…
Bon, en tout cas à un certain moment j’ai cessé de faire le malin et je n’ai pas réussi à doubler Martine et je me suis collé dans son pas en me disant que ce n’était pas vraiment si facile que ça de la suivre.
On est resté comme ça ensemble jusqu’au Col de la Forclaz (2354m), on a ensuite descendu ensemble et on était encore ensemble au Passeur de Pralognan (2567m).
Je ne me souviens plus si c’est avant le Col de la Forclaz ou avant le Passeur de Pralognan qu’on a signé notre pacte : finir ensemble la TDS. En tout cas ce pacte était super, on ne se parlait pas (j’ai un mal de chien à comprendre les intonations des gens du Var) mais on restait l’un derrière l’autre. Souvent des gars qui la connaissaient s’excusaient auprès de moi de parler avec elle. La puissance de notre lien était vraiment incroyable. Pour sceller ce pacte Martine a regardé mon dossard pour voir comment je m’appelais car « chapeau » ce n’était pas convenable pour signer un pacte.
La montée finale vers le Passeur de Pralognan est un mur. On est dans un cirque, l’ambiance très très sauvage. C’est sublime.
On a atteint le col du Passeur de Pralognan avant la nuit et on est resté ensemble jusqu’au Cormet de Roselend. Avant d’arriver au Cormet, on a décidé de trouver un coin pour tous les 2 au ravito pour ne pas risquer de repartir séparément.
Dans les nombreux compte rendus de la TDS que j’avais lu avant de partir la descente du Passeur de Pralognan était présentée comme épouvantable. Ce n’est pas du tout ce que j’ai perçu. C’est certes très abrupt mais comme c’est bien équipé avec des cordes statiques, il suffit de tenir la corde à la main et de se laisser descendre. Aucun problème sans bâtons et je recommande même de ranger ses bâtons dans son sac pour la descente et pour ainsi profiter de ses 2 mains pour s’assurer.
Un gars de l’organisation se mange une pêche avec un couteau. Je rêve de sa pêche et lui dit un truc du genre « une pêche, quelle bonne idée » et il me répond du tac au tac; « tu veux une pêche, tient en voilà une » en faisant mine de me donner un coup de poing. Je suis content de m’éloigner indemne.
Après la descente très abrupte, certains parlent de marécages et de zone très humides mais nous n’y sommes pas passé cette année. En tout cas je n’ai pas eu les pieds mouillés entre le Passeur et le Cormet.
Arrivé au Cormet, Martine a salué son équipe de support, on a récupéré nos sacs de consigne et on s’est trouvé un coin de table. Pour ma part au Cormet j’ai : bu une soupe, changé de T-shirt pour un mérinos sec, rechargé la batterie de mon Ambit avec une batterie USB, viré mes gants GoreTex de mon sac, endossé ma veste en Primaloft pour la nuit, apporté un bol de pâtes à la bolognaise à Martine et j’aurais bien aimé faire une petite sieste (genre micro sieste) mais j’ai du composer avec la volonté de Martine et son désir de ne pas trop trainer au ravito. On y est resté moins d’une heure mais elle n’était pas trop contente du temps qu’on y avait perdu.
Dès ce moment là je me suis dit plusieurs fois qu’on fonctionnait comme un vieux couple tous les 2. Quand je buvais ma soupe elle m’a demandé pourquoi je ne lui en avais pas apporté et aussi pour les pâtes, adorable.
Je ne me souviens pas bien de notre heure de départ du Cormet de Roselend mais voici le SMS que j’ai envoyé à mes potes à ce moment là : « Je suis au Cormet, 3h d’avance, bon moral ».
Sortie du Cormet, certains (peu nombreux) prétendent que la course ne démarre pas à Bourg mais après le Cormet. Je pense à eux en me disant que ça s’annonce bien. Notre petit couple avec Martine me donne une immense confiance devant la montagne de kilomètres et d’heures de bagarre qu’il va falloir affronter avant de passer tous les 2 sous l’arche à Chamonix.
Cormet de Roselend 1967m – La Gitte 1665m – 8km.
Alors là vraiment la ce segment je n’ai pas grand chose à en dire. On est en pleine nuit, il y a une montée jusqu’au Col de la Sauce (2307m) puis une descente avec un passage par le passage du curé. Le passage du curé c’est un chemin taillé dans le roc le long d’une gorge au fond de laquelle coule un torrent tumultueux. Ambiance Tintin et les 7 boules de cristal. Comme on est la nuit, et qu’on a autre chose à faire que de nous apitoyer sur notre sort, la difficulté passe sans encombres et on arrive au col de la Gitte sans que j’en garde beaucoup de souvenirs.
C’est la pleine lune mais elle reste bas sur l’horizon et on est quand même obligés d’utiliser nos frontales. Le ciel est étoilé, je capte une bele étoile filante rousse. C’est un bon signe, on est bien tous les 2 dans la nuit…
C’est peu avant le passage du curé que Martine a cassé l’un de ses bâtons. Elle finit la course avec un seul bâton (toujours 0 bâton pour moi pour ceux qui suivent…).
Pour Martine, il est important de finir la TDS mais je n’ai pas bien compris si elle avait besoins des points pour l’UTMB 2016 où si ce serait son dernier ultra.
On est arrivé à la Gitte à minuit et 11 minutes, on n’y est resté que le temps de pisser (Martine s’est piquée dans les orties) et on avait donc plus de 2 heures d’avance sur la barrière horaire.
La Gitte 1665m – Col du Joly 1989m – 11km.
Ce morceau m’a semblé interminable. Certains prétendent qu’il a été rallongé par rapport à l’année précédente sans que ni la distance sur le profil ni la barrière horaire n’ait été modifié. On parle de 13km au lieu de 11.
D’après le profil c’est montée / descente / montée / descente / ravito et c’est vrai que ça a eu l’air d’être bien plus compliqué que ça.
J’ai du mal à arriver au ravito du col du Joly mais Martine est intraitable et refuse toute pause.
Arrivé au col du Joly je bois cul sec 2 verres de Coca et annonce à Marine que je vais faire une micro sieste. En fait je comptais réitérer ce qui m’avait tant réussi à la Maxi Race 2 mois auparavant. Le résultat en fut tout autre car lorsque j’ai essayé de m’allonger au lieu de trouver un sommeil réparateur je me suis mis à me vomir dessus. Très désagréable même si j’ai constaté que je ne vomissais pas de pâtes et que donc mon système digestif continuait de fonctionner. Je n’ai pas fait la micro sieste, j’ai retrouvé Martine et j’ai ingurgité 2 ou trois morceaux de banane. J’ai ensuite cherché les toilettes (des toilettes sèches, une grande première pour moi) et en en sortant j’ai cherché Martine mais je ne l’ai pas trouvé.
Je me suis dit qu’elle était déjà partie et je suis parti à sa suite. Cette histoire qu’elle soit partie sans m’attendre me semblait très bizarre et l’idée qu’elle m’ait attendu et que je sois parti sans l’attendre me culpabilisait beaucoup. Quelle horreur, se séparer sur un malentendu ou pire sur une trahison (la mienne), voilà quelque chose de très difficile à assumer.
Après environ 1 kilomètre d’engagement dans la descente, j’entends la speakerine du ravito annoncer « Martine cherche Yann pour continuer la course ». Grosse honte sur moi, je l’ai lamentablement lâché, j’ai trahi notre pacte. Je me dis qu’elle est en train de me chercher là haut au ravito et décide illico de repartir la rassurer. J’ai des ailes alors qu’il s’agit d’une belle montée. Un 4×4 me propose un lift mais je refuse de peur d’être disqualifié où de rater Martine.
Finalement je croise Martine qui me reproche d’avoir perdu de l’énergie à remonter alors qu’il suffisait de l’attendre là où j’en étais. Elle n’a pas intégré la puissance de ma culpabilité, je n’arrive pas à m’expliquer correctement, on repars ensemble vers les Contamines.
Col du Joly 1989m – Les Contamines 1170m – 10km.
La descente est très longue et pas très intéressante de nuit. D’après mes souvenirs on n’a pas couru dans cette descente. Martine a un rythme de descendeuse qui me va très bien, je ne peine pas pour rester avec elle.
Mon petit vomi au col du Joly m’a fait du bien, la peur de ne pas finir s’estompe.
On arrive aux Contamines juste avant 6 heures du mat avec donc plus de 2 heures 30 d’avance sur la BH. On est bien, le jour va bientôt se lever, on ne traine pas trop au ravito et on attaque toujours ensemble les 2 dernières difficultés de la TDS. C’est étonnant mais je n’ai mal nulle part, à part une assez grosse fatigue, aucune tentation d’abandonner, cela m’étonne…
Les Contamines 1170m – Les Houches 1012m – 16km.
Cette section est assez compliquée. Il y a d’abord une sacré montée pour atteindre les chalets du Truc puis une descente agréable vers les Chalets de Miage avant la montée du col du Tricot. 700m de dénivelé, c’est un mur.
Je ne me souvient pas d’avoir beaucoup lu que la montée vers les Chalets du Truc n’est pas une promenade de santé. Le chemin est très très raide et le dénivelé d’environ 600m je crois. Maintenant je connais mieux ma collègue et son système sans pause commence à me convenir. J’oublie de demander une dernière pause et on arrive aux Chalets du Truc finalement assez vite.
La descente est sympa avec un immense cirque en face de nous. On se demande par où on va passer et la hauteur à franchir a l’air d’être bien plus grande que les 600/700m annoncés.
La montée du Tricot est bien un gros morceau. Je confirme. C’est un mur, le sentier monte très très fort et pour la première fois je me dit que ce serait peut-être mieux avec des bâtons. En tout cas comme le sol est sec et souple (il avait bien plu 2/3 jours avant), ça se passe bien mais cela aurait pu être une autre paire de manches sous la pluie ou avec un sol glissant et fuyant. J’ai mal dans un muscle interne de ma cuisse droite et pour progresser j’avance le pied gauche et ramène le pied droit à la même hauteur. Rendement de 50% par rapport à une foulée normale mais en augmentant la cadence j’arrive à rester avec Martine.
En haut du Tricot j’ai l’impression que la course est finie et je m’assoie dans l’herbe pour envoyer un dernier SMS :
« Le Tricot c’est fait mais sans bâtons je ne recommencerai pas ».
Après ce SMS, impossible de me relever, mes quadri sont tétanisés, j’ai l’impression que mon corps a cru que c’était vraiment fini et la prochaine fois je vous assure que je ne ferais pas ce genre d’erreur sur la fin d’un Ultra.
J’ai un mal de chien à me remettre en route et en plus je dois presser le pas pour retrouver ma Martine. Je la rejoint dans la descente et elle est contente. On envisage de finir en moins de 30 heures mais ça va être chaud.
Ensuite elle double un gars qui se traine dans la descente mais je tarde à faire de même et je la perd de vue. Je suis seul sur la passerelle du Bionassay, je veux dire sans Martine. Sur cette passerelle les gars qui me précèdent ne s’aventurent qu’un à un sur la passerelle et cela crée un bouchons avec en plus des randonneurs qui arrivent en face. C’est un peu le bordel et finalement on se retrouve à 10 ensemble sur la passerelle et je vous rassure, elle a tenu.
Petite remontée vers Bellevue mais je ne m’en souvient pas bien.
A Bellevue on passe sur les rail à crémaillère du tramway du Mont Blanc et cela me rappelle une dernière fois mon père et le tour du Mont Blanc qu’on a fait en 1982. A Bellevue on avait dormi dans un refuge et je me rappelle qu’on y avait aussi mangé une omelette qu’on avait trouvé très cher.
La descente vers les Houches est un calvaire. Martine n’est plus là, je me traine, ne double personne et me fait doubler par des dizaines de gars. Certains oublient de me dire merci quand je m’arrête sur le coté pour leur faciliter le passage, désolant mais je continue de tout faire pour que ça se passe bien pour les autres. Je regrette mon miracle de descendeur dans la dernière descente de la Maxi Race mais c’est pas trop grave car je sais que même en rampant je vais réussir mon objectif : finir la TDS en moins de 33 heures (le temps limite fixé par l’organisation, la dernière barrière horaire).
Arrivé au dernier ravitaillement des Houches je suis complètement vidé. J’essaie de voir si je n’y retrouve pas Martine mais elle a du partir sans m’attendre. Je suis sur qu’elle est aussi désolée que moi que l’on ne finisse pas ensemble.
Les Houches 1012m – Chamonix 1035m – 8km.
Je suis donc tout seul sur ce dernier morceau. Sur la course j’ai entendu des gars qui rêvaient d’arriver là et de courir le sentier quoi qu’il arrive. Je crois que physiquement c’était tout à fait possible que je coure mais mon mental avait flanché et je me suis trainé sur ces 8 derniers kilomètres. J’étais sur que ça allait durer une éternité et j’ai été très étonné quand on m’a annoncé Chamonix dans 2 kilomètres. Je n’y ai pas cru mais c’était bien vrai.
A l’arrivée dans la rue piétonne de Chamonix, j’ai demandé au bénévole si je devais courir et il m’a dit que non. Alors que je m’étais dit que cela ne servirait à rien de courir jusqu’au portique final je me suis dit que pour tous les gens présents dans les rues de Cham ce serait quand même mieux de voir un coureur qui fini la TDS.
Je me suis donc retrouvé en train de courir sans avoir compris ce qui m’était arrivé. Les rues sont noires de monde car il est 13h et je pense à tous les gars qui ont fini aux petites heures du matin avec personne dans les rues. Le plaisir de finir est plus grand pour les derniers et j’en fait bien parti en finissant moins de 2 heures avant le temps limite, ayant mis plus de 2 fois le temps du premier !
L’ambiance est extraordinaire, les gens qui boivent leur bière aux terrasses de la rue m’applaudissent, je suis transporté par la foule. J’essaie d’avoir la foulée la plus aérienne possible mais je crois qu’en fait c’est pathétique. Et voilà c’est fini.
Conclusion.
C’est vraiment dommage que l’on n’ait pas fini ensemble avec Martine. Pour l’instant je ne l’ai pas revue mais qui sait de quoi l’avenir sera fait.
Alors que pendant la TDS je me suis souvent dit que c’était vraiment n’importe quoi ce genre d’exercice ou on souffre pendant des dizaines d’heures, dès le lendemain j’ai décidé de tenter ma chance pour l’UTMB 2016 après avoir accompagné Antoine jusqu’au sas de départ du grand UTMB.
J’ai mis beaucoup de temps à écrire ce compte rendu et je suis content de l’avoir fini. Maintenant, je vais pouvoir me concentrer sur mon prochain objectif : The Spine Challenger 2016.
.
elemnt courir.
Permaliens
Cela me donne vraiment envie d’y retourner. .
Bravo
Permaliens
bravo pour cette belle TDS ! J’ai fait le parcours en mode reco au mois de Juillet et je m’étais défoncé dans le col du Tricot en plein cagnard, c’est vraiment un mur. Celui-là et le raidillon tu Petit Saint Bernard m’ont marqué.
En tout cas, je suis encore une fois, complètement d’accord avec toi que ce qui permet de finir un ultra au stade où nous en sommes (c’est à dire avec un minimum de condition physique) c’est les autres. Pour moi, cela a été la découverte de l’année lors du Tour des Cirques du GRP.
ciao