Après avoir passé une extraordinaire semaine d’aventure dans les Vosges nous avons décidé de poursuivre en nous aventurant dans le Jura en hiver. La GTJ, Grande Traversée du Jura, c’est bien parce que c’est un chemin déjà tracé qui évite d’avoir à se poser la question de l’itinéraire. Et hop, on est partis.
GTJ J1 – Mandeure – Fort des Roches – 18 km
On est gâté, le voyage en train s’est très bien passé et il y a plein de neige, c’est très beau. Cette neige c’est un vrai cadeau, une semaine avant que nous n’arrivions, le 21 janvier, il n’y en avait pas encore, et tant qu’à faire une GTJ hivernale, autant que ce soit dans la neige non ?
On déjeune à Montbéliard et on prend le bus pour arriver à Mandeure.
Le chemin longe une falaise qui tombe vers la vallée du Doubs.
On arrive à Pont-de-Roide vers 18h. Les gens sont très gentils, en particulier le Fab de la petite épicerie qui a beaucoup d’humour tout bienveillant.
On prend l’apéro à la brasserie du pont. Les habitués nous parlent d’un chemin de chèvre qui monte au Fort des Roches et qu’il y a un sacré dénivelé. Ils sont très sympas. Un gars tout sec ouvre devant nous le journal du jour pour étudier ensemble la météo du lendemain.
On déjeune au restaurant La Tannerie, je ne me souviens plus de notre menu mais c’était très bon. Au restau on prépare notre étape du lendemain, on hésite entre une chapelle abandonnée en dessous des échelles de la mort et la cabane de Fromont, de l’autre coté du Doubs, en Suisse. L’avantage de la cabane de Fromont est qu’il y a un poêle et aussi du bois. C’est assez loin, plus de 40 bornes mais on va partir tôt demain matin.
Après le repas nous reprenons le chemin à la frontale, tous les locaux nous ont dit qu’on était fou d’aller dormir là haut mais que le fort était très propre.
On y arrive assez tard, le fort est à quelques dizaines de mètres du chemin mais dans la nuit on a failli le rater tant il est enterré et caché. On parcourt des dizaines de salles vides, il y a des stalactites de glace qui descendent du plafond. C’est un endroit merveilleux. C’est très étonnant de voir qu’il n’y a aucun tag, juste une inscription du genre « maquis libre » datée de 1948. On fixe notre choix sur une assez grande salle sans courant d’air. Ça caille.
GTJ J2 – Fort des Roches – Cabane de Fromont – 46 km
Je n’ai pas eu chaud dans la salle voûtée du Fort des Roches. Comme un con j’avais gardé mes bras en dehors du sac et du bivy bag, ça a été mieux après que je me sois bien emmitouflé. L’année prochaine on va emporter un thermomètre pour pouvoir dire dans le compte-rendu quelle température il a fait au minimum chaque nuit.
On met le réveil à 6h du mat, personne ne l’entend mais quand même à 7h on est de nouveau en piste.
On arrive pour le petit-déjeuner à Saint Hippolyte, une femme promène son chien, on lui demande où est la boulangerie, elle nous dit que le plus sûr pour avoir du pain c’est d’aller au Colruyt qui est juste là. On a failli le rater, on fait des courses pour un pique-nique ce midi, fromage, saucisse fumée, chips, pain, pinard.
A Saint Hippolyte on trouve un café ouvert et on en profite. On repart sur la trace de Manu, on se rend compte que sa trace dans son Locus n’a rien à voir avec la mienne. en fait il a chopé une trace GTJ vélo tandis que j’ai bien la bonne trace. C’est ici qu’il faut la télécharger.
Bon, comme la journée va être très très longue on reste sur la trace de Manu qui est beaucoup plus courte entre Saint Hippolyte et la cabane de Fromont. Ça nous fait rater un passage sur un coteau qui surplombe le Doubs et on va retrouver la bonne GTJ à Fessevillers.
Après avoir quitté Saint Hippolyte on remonte dans un vallon par un chemin non indiqué sur les cartes. On longe une gentille petite rivière dans un sous bois. C’est très beau. On entend un cri bizarre, on s’arrête et là on a le spectacle d’une mère chamois qui accompagne son petit. Les avis sont partagés sur chamois ou bouquetins mais, après vérifications il s’agissait définitivement de chamois.
Au cimetière de Trévillers on pique-nique sous le porche d’une chapelle du 17è. On se régale mais il fait très froid et on est tout frigorifiés quand on reprend la route.
On aurait bien aimé boire un café dans un bistrot chauffé mais Trévillers est un tout petit village, on passe au pied d’un ancien hôtel transformé en appartements pour travailleurs frontaliers. On fait quand même le tour du bâtiment et là on a la chance de tomber sur un café restaurant avec une grande tablée avec des gars en uniforme. Sans doute le repas d’une fanfare. On entre, on nous sert du café. Un gars vient nous parler, c’est Michel. Il nous explique qu’il fait partie d’un orchestre venu donner un concert en l’honneur de Saint Sébastien, le patron du village, il est très prolixe, nous parle de son rêve de faire le pèlerinage de Compostelle, qu’un sac ne doit pas peser plus que 15% du poids du porteur, de son rêve d’aller voir la grand place de Bruxelles, construite en 2 ans après le bombardement de Bruxelles par Louis XIV et qui est très riche de symboles mystiques. Il nous parle aussi de géologie, de la constitution du Jura, du Bief d’Etoz, de la Goule, de la chapelle des échelles de la mort, le Doubs qui fait frontière avec la Suisse. Il n’arrête pas de dire que si on franchit le Doubs on change de pays et il précise toujours « je vous taquine hein ». Ses collègues musiciens viennent le chercher en lui demandant d’arrêter de nous embêter.
Dans le café, on fait un point itinéraire et on décide de ne pas faire la boucle vers Goumois pour atteindre plus vite la cabane de Fromont.
On arrive dans la nuit à la Goule, il n’y a personne au poste frontière, on est content d’être bientôt arrivés. Malheureusement, on a déjà plus de 40 bornes dans les pattes et la dernière section est une montée qui nous semble interminable, à Domi et à moi. Quand on arrive à la cabane, Manu est déjà en train d’essayer d’allumer le feu. On galère pas mal pour démarrer ce feu, la prochaine fois il faudra que l’on apporte des allumes barbecue pour gagner du temps.
Un panneau nous indique que cette cabane vient de fêter ses 70 ans, que c’était une cabane de douanier, qu’elle a appartenu à la bourgeoisie et qu’elle est en libre accès. Je me suis renseigné sur cette histoire de bourgeoisie, en fait c’est un truc suisse différent de la commune mais assez voisin aussi.
La cabane est géniale, il y a ce poêle, plein de réserve de bois sec, un petit dortoir, une grande table, une source à 60 mètres. On y est très très bien et on passe une bonne soirée.
GTJ J3 – Cabane de Fromont – Villers le Lac – 36 km
D’après nos informations il n’y a pas de cabanes du coté de Villers le Lac et nous décidons d’y réserver un hôtel, ce sera notre objectif du jour. 35 kilomètres sur le papier, c’est déjà beaucoup avec les pieds dans la neige. Domi a déjà des grosses ampoules sous les talons et chaque pas est très douloureux pour lui.
Quand on se réveille dans la cabane de Fromont il fait déjà jour. On prends notre temps, le poêle est éteint mais il fait encore chaud. On finit a galette des rois achetée la veille à Saint Hippolyte.
Le chemin du côté suisse est sans doute moins charmant que du côté français où on passe dans les gorges du Doubs mais c’est pas mal quand même. On croise deux grands troupeaux de chamois, c’est merveilleux. On atteint le lac de Biaufond, on retourne en France sans être importuné par aucun douanier.
Entre la Race et l’abri du Torret le sentier passe le long du Doubs, il y a de belles falaises de chaque côté. Je me régale sur ce sentier mais pas mes compagnons qui trouvent que c’est chiant, à la longue, rien n’est jamais plat ou droit, il faut toujours faire attention à là où on pose ses pieds.
On pique-nique dans l’abri des pêcheurs.
A l’abri du Torret la trace de Manu continue en fond de vallée tandis que la mienne indique une sortie du lit du Doubs avec 300 ou 400m de dénivelé. Un panneau indique que la trace est détournée à cause d’un risque de chutes de pierres. On préfère la sécurité. La montée est très rude mais elle passe bien.
Arrivés en haut on décide de couper pour atteindre au plus vite Villers le Lac. Dommage, il y a de beaux points de vue sur les sauts du Doubs d’après la carte mais de toute façon, comme il fait déjà nuit, cela n’aurait pas eu grand intérêt.
C’est le bal des éclopés, Domi avec ses ampoules, Manu des douleurs dans la voûte plantaire, et moi mon sac à dos me fait très mal. Manu m’avait déjà recommandé un changement de réglage du dos mais je n’avais rien fait. Il me suggère de régler ça mais ça ne me dit rien. Domi nous met d’accord avec un superbe adage : un baudet qui fait à s’guise c’est la moitié de sa nourriture.
Sur le plateau un hululement sinistre nous surprend, de quoi avoir des frissons le long de l’échine. On se dit que c’était peut être le vent dans les câbles électriques qui passaient au dessus de nous.
On arrive à Villers le Lac vers 19h. Notre chambre d’hôtel est très grande. On sort manger à la Vilaine. Risotto jurassien tout à fait délicieux.
Pour le lendemain on avait envisagé une grosse étape de près de 40 bornes pour atteindre l’Abri du Grand Taureau mais on n’est pas en condition pour ça. Il y a une cabane vers la mi chemin mais comme cette cabane n’a pas l’air d’être bien pour dormir on cherche un hébergement. Le gîte de Grand’Combe-Châteleu est fermé. Les hôtels en Suisse sont hors de prix. Finalement on réserve à la maison d’hôtes Maison Rozet près des Gras.
GTJ J4 – Villers le Lac – Le Rozet – 22 km
En quittant Villers le Lac on s’approvisionne en comté et en saucisse de Morteau fumée à l’excellente boutique de la maison Chapuis. Cette saucisse fumée est une tuerie, extrêmement délicieuse.
La journée commence par une longue montée vers le Meix Musy 1288m. Vers le Gradoz on chausse pour la première fois les raquettes. Un kilo de moins sur le dos c’est très agréable mais un kilo de plus aux pieds c’est assez compliqué. Dès qu’on peut on s’en débarrasse car ce n’est vraiment pas facile d’avancer avec ces engins aux pieds. Sur le site de la GTJ ils disent que la vitesse de progression en raquettes est de 3 kilomètres par heure.
On cherche un abri pour notre pique nique mais il n’y en a pas sur le chemin. En arrivant au Gardot (Brigitte gardot, gardot…) on a la chance de tomber sur une station de ski de fond. Il y a même une baraque à frites qui sert une excellente bière locale. On mange dans la grande salle chauffée de la station. Il y a plein de gamins d’une banlieue voisine qui sont sur le départ. Pleins de gars, du genre vieux montagnards, s’intéressent à notre aventure, manifestement personne ne fait la GTJ à pieds en hiver, c’est plutôt un truc pour les skieurs.
Vers le Vieux Châteleu la trace passe par une route départementale assez fréquentée. C’est une section pas très agréable, bizarre, il semble que passer par les bois aurait été possible. Sans doute un choix d’itinéraire motivé par un aubergiste.
Pour atteindre le Rozet on passe par le mont des Ages et le pain de Sucres, c’est globalement une descente.
On est super bien accueillis par Anne et son mari à la Maison Rozet, il y a une super carte de bières pour l’apéro. Le repas est délicieux, on discute avec des électromécaniciens qui sont en train d’installer un robot allemand dans une pharmacie de Morteau.
Domi a toujours très très mal aux pieds et il nous dit qu’il va arrêter là. On décide avec Manu d’arrêter aussi pour ne pas le laisser seul. La gare de Pontarlier est à moins de 30 bornes, ce sera notre objectif pour le lendemain.
GTJ J5 – Le Rozet – Pontarlier – 32 km
Les matelas de laine du Rozet sont très agréables et le petit déjeuner très copieux.
On part par un gentil petit chemin qu descend vers le village des Gras et on remonte vers Les Cerneux pour rattraper la GTJ. Domi n’en peut plus, il s’arrête là pour regagner la départementale qui passe au Gras pour faire du stop jusqu’à Pontarlier. Il n’y a pas beaucoup de trafic, il galère avec son stop, il fait plein de bornes sur la départementale et est finalement pris par une lensoise aux Alliés.
Avec Manu on finit notre dernière journée à pieds. On commence par une fameuse montée dans une combe le long d’un petit torrent. De 950 m à plus de 1200 m. C’est interminable, on ne lâche rien, on est complètement en nage et tout essoufflés quand on atteint le col.
Après le Cernet du Doubs on ne descend pas vers Les Alliés, on coupe en Suisse pour attaquer plus vite la montée vers le sommet du Grand Taureau 1323 m.
On doit traverser le fond d’une combe pâturée, il y a plein de neige, on chausse les raquettes, on perd notre bon rythme.
On arrive au sommet du Grand Taureau, il y a plein de skieurs, on est dans le domaine skiable de Gounefay, il y a une table d’orientation, le Mont Blanc est visible de là mais pas pour nous car on est dans les nuages. On casse la croûte à la cabane du Grand Taureau, l’endroit est petit mais on aurait été bien pour y dormir.
La descente vers Pontarlier se fait dans le brouillard givrant. C’est très beau sur les arbres.
On retrouve Domi dans un café, on goûte au macvin. C’est sucré et servi en toute petite quantité.
On est ravi de finir ensemble et, comme cette affaire n’est pas finie, d’y revenir l’année prochaine.
[Édition un an plus tard] La suite de la GTJ de Pontarlier à Bellegarde par les crêtes
Permaliens
Rien n’est simple en hiver pour ces escapades. Des journées courtes, la météo incertaine et une dépense d’énergie importante, alors moi je dis bravo les copains Bizzz