Ben voilà, l’an passé on avait entrepris la grande traversée du Jura en partant de Mandeure, près de Montbéliard, et on n’était pas allé plus loin que Pontarlier, ce qui est déjà pas mal. Pour cette deuxième année dans le Jura en hiver on est donc parti de Pontarlier avec l’objectif d’atteindre Bellegarde sur Valserine parce que là bas il y a une gare pour repartir.
On part à trois, on se connaît bien, des années de confrérie, et déjà 3 ans d’aventures hivernales (les Vosges, et le début de la GTJ l’an passé) plus pas mal d’autres occasions souvent narrées ici. Il y a là Manu, on est témoin réciproque de nos mariages respectifs et on se voit toute les semaines le mardi au Rodeberg et aussi Domi, le plus endurant des confrères, presque le seul encore debout de la Confrérie (avec Jer).
On est heureux de pouvoir repartir ensemble. Un autre élément du contexte c’est qu’il y a quelques années on a fait The Spine avec Manu, c’était une aventure hivernale avec dossard et le plan tranquille avec des potes, en hiver, c’est un peu la quintessence du Spine, de ce qu’on y recherche, de la camaraderie et des aventures, un climat hostile, peut être aussi des souvenirs.
Manu a hyper bien préparé l’aventure, on a une trace dans Locus qui diverge beaucoup de la GTJ pour plus passer par les crêtes, toutes les cabanes possibles grâce à l’excellent Refuges.info, des billets de train, des sacs à dos énormes, des crampons, des lyophilisés, une bouteille de whisky, et des raquettes. Il n’y a plus qu’à.
J1 – Pontarlier – cabane Saint Antoine – 21km – 688m de D+
On arrive au milieu de l’après midi à Pontarlier, c’est quand même dingue ce que permet de faire le train. On est tranquille, on a réservé à 19h30 dans un restau sur la route à l’Auberge des Montagnards à Chaon, il n’y a qu’une douzaine de bornes à parcourir, on a le temps d’une bière.
12 Bornes avec un gros sac c’est quand même long. On passe sous le château de Joux et le paysage n’est pas mal. Dès le premier jour on a les pieds dans la neige. On est bien contents d’arriver au restau.
On est accueillis par Walter, le patron du restau, j’opte pour une absinthe, il en propose une à 68°, je dédaigne le sucre (rétrospectivement je n’aurais pas du, Faby dite que l’absinthe ça se boit avec du sucre).
Walter est génial, c’est à lui tout seul un voyage, il nous parle de trucs de chasseurs, de ses copains d’Eperlecques qui viennent le voir et où il est déjà allé, de chasses au chamois et de bracelets, du lynx qui mange un chevreuil par semaine, des loups qui viennent de Suisse, des gens qui ne demandent pas s’ils peuvent recharger leur smartphones et qu’il envoie systématiquement balader s’ils branchent sans avoir demandé, il téléphone au patron de la société de chasse pour savoir si la cabane Saint Antoine est ouverte… Lorsque l’on part, il nous offre une bouteille d’absinthe parce qu’on lui avait dit que c’était mon anniversaire. C’est quand même dingue ce moment chez Walter, la quintessence du voyage, la rencontre.
Après Walter le temps passe bien et on arrive assez vite dans la cabane Saint Antoine au milieu de la neige. Ça caille pas mal, Manu allume vite le poêle de la cabane, encore un truc merveilleux la mise à disposition de bois et de poêles dans les cabanes, il gèle à pierre fendre dehors et on se couche par terre avec le maximum d’équipements (sac de couchage, drap en polaire, bonnet, doudoune, gants, en ce qui me concerne).
J2 – Cabane Saint Antoine – Cabane la Sauvageonne – 33km – 1175m de D+
Au matin on repart tranquillement, on cherche à voir le fort Saint Antoine mais on ne le voit pas (il a été transformé en cave d’affinage de fromage et Seb nous en parle par SMS), on arrive assez vite au village de Métabief, on y boit un café dans une boulangerie.
Belle montée vers le Morond (1419m). Au Morond on est au milieu des skieurs alpins, le monde est fluo, on rencontre un retraité qui arrondi ses fins de mois en s’occupant l’hiver des remontées mécaniques. On discute de la météo, du redoux qui arrive, de la fin de la neige, du réchauffement climatique… Le réchauffement a des conséquences très mesurables dans ce coin, on ne peut pas y échapper, dans une certaine mesure c’est assez réjouissant.
Au Mont d’Or (1436m), on pense au fromage et on fait la rencontre d’un groupe de barbus du Loiret, ce sont de grands gaillards biens équipés pour la neige. L’un d’entre eux nous demande si on habite dans les montagne, ça nous fait rire. Les sommets alpins sont à moitié dans les nuages, dommage.
On poursuit, croisons un petit troupeau de chamois et on fait une pause extraordinaire à la combe de Baratoux. On est au milieu de la neige, sur la terrasse d’une bergerie, en plein soleil, on sort le saucisson, Manu se met en caleçon (whoua la rime), on sèche nos chaussettes, goûtons à l’absinthe de Walter, partageons une galette, et on prends notre temps.
On est du côté Suisse de la crête, le paysage n’est pas très folichon, beaucoup de longues lignes droites entre les sapins, pas de vue.
Mon sac à dos me fait mal, en fait il s’était déréglé et je m’étais obstiné à ne pas regarder malgré les remarques de Manu et Domi qui trouvaient que je portais le sac trop bas.
A la tombé de la nuit on tombe sur une source, c’est assez exceptionnel dans le Jura, on est content, ça nous évitera d’avoir à faire fondre de la neige pour nos lyophilisés. L’été ça doit être une vrai galère cette question de l’eau.
La fin de l’étape est éprouvante, il n’y a pas assez de neige pour sortir les raquettes mais souvent nos pieds s’enfoncent de 10 cm dans une neige dure et c’est assez pénible.
On finit à la frontale et on est bien content d’atteindre enfin notre cabane pour le soir.
La Sauvageonne est une cabane charmante, réserve de bois et poêle comme d’habitude. Ça sent bon la Suisse. Il fait moins froid que la veille dehors et le poêle réchauffe vite la cabane. On dort par terre et on n’a pas froid du tout.
J3 – Cabane la Sauvageonne – Les Rousses – 32km – 640m de D+
Objectif les Rousses, on y a réservé au gîte du Grand Tétras car pas de cabane présente sur cette section du parcours.
Toujours ces longues lignes droites dans la forêt du Risoud avec cette neige limite raquettes. Manu est le seul à les utiliser. Toujours pas de vue, sauf vers la France à la Roche Champion, c’est l’étape la moins intéressante de la semaine.
Vers midi on se met en full goretex (on a mis nos pantalon gtx surtout) et tout va bien.
La pluie était annoncée et elle n’a pas manqué au rendez -vous. En même temps c’est bien, on n’est pas déçus, on n’as pas mis nos bazars pour rien.
Peut avant les Rousses on tombe sur notre première piste de ski de fond. Une skieuse que je n’avais pas entendu venir me bouscule, elle est désolée, avait prévenu mais je n’avais rien entendu sous ma capuche.
Un peu plus loin, toujours sur cette piste on se fait engueuler pas une skieuse « je n’ai pas l’habitude de râler mais… », « déjà qu’il pleut et que ce n’est pas agréable, si en plus il y a des randonneurs sur la piste… ». Charmant.
On coupe dans la trace pour arriver au plus vite au Grand Tétras, le chemin est vierge, personne n’est passé là avant nous, il pleut mais on a de la neige au pieds, vu d’où l’on vient c’est juste chouette, en plus on n’est plus sur les pistes de ski.
On est archi trempés lorsque l’on arrive au Grand Tétras. Il faudra que je revoie mon système car mes affaires sont trempées, le couvre sac de mon Exped est trop petit quand il y les raquettes sur le sac.
Au Grand Tétras on est bien accueillis, l’endroit st sans charme, c’est un genre de maison familiale, il y a une classe verte de CM2 de la région parisienne qui est là aussi.
Le repas est délicieux, de la soupe, des morteaux, du fromage, les enfants sont assez calme, c’est réjouissant de les voir. On mange en compagnie d’un couple de Bonneval avec lesquels le courant ne passe pas très bien, aucune conversation.
Le patron du gîte est sympa. Il connaît bien la montagne. Il dit que les cabanes c’est une institution en Suisse, qu’elles sont bien plus respectées qu’en France. Il nous sert un petit sapin maison à la fin du repas.
J4 – Les Rousses – Chalet de la Frasse – 16km – 610m de D+
En quittant les Rousses on passe dans les fossé très impressionnants du fort des Rousses.
Montée soutenue menée par Domi. On démarre par une piste de ski sans neige et ensuite ça se passe dans un joli sous bois.
Petite journée, on prends notre temps dans le restau du haut des pistes.
Ensuite on quitte la zone de ski alpin pour retrouver les pistes de ski de fond. Ça ne prend pas longtemps avant que l’on se fasse agresser. On discute un petit peu et l’enfoiré se casse sur ses skis en nous traitant de loin de bande d’enflures. Domi est outré, hors de lui, je l’ai rarement vu aussi énervé.
Plus loin, toujours au bord de cette piste, on rencontre un groupe de randonneurs assez âgés. Eux aussi ont été traumatisé par des skieurs. On est tous d’accord pour dire que ce sont des cons.
On arrive assez tôt à La Frasse, on y est accueillis par Isabelle, une cliente bien éméchée, on papote pas mal, elle est très curieuse. On aborde la question des randonneurs qui marchent sur les pistes de ski de fond. Elle est d’accord avec nous, un jour son petit chien a mis une patte sur la piste. Elle s’est fait engueuler et elle a répondu « oh toi, la reine des neiges, tu ne vas pas me casser les couilles ». On est bien dans le Jura.
Comme on arrivé très tôt à la Frasse, on en profite pour essayer de faire un cluster dans Statshunters avec Domi. Notre truc tombe à l’eau, ou plutôt dans la neige car le chemin que nous voulions emprunter est réservé aux animaux en hiver. On respecte plus les animaux que les skieurs et on trouve quand même le moyen de se faire un modeste carré.
On est bien à La Frasse, on discute avec Laurent, un fasciathérapeute, il nous parle de la possibilité de dissociation quand on court en fixant un point au loin. Il dit aussi qu’il faut absolument apprendre à écouter son corps. Quand il nage il sent les bulbes de ses poils qui lui indiquent si son geste est bon.
Le refuge est super, délicieux souper près d’une grande cheminée centrale, encore de la Morteau avec des patates à l’eau et de la cancoillotte. On dort a l’étage dans un grand dortoir. Il fait trop chaud, je dors mal.
J5 – La Frasse – La Loge – 27km – 1195m de D+
Encore de tristes pistes de ski de fond au départ. Un panneau nous indique qu’effectivement les pistes sont interdites aux randonneurs, on s’en fou, on est sur le GR.
Mijoux est un peu sinistre, c’est une station de sports d’hiver, avec plein de remontées mécaniques arrêtées parce qu’il n’y a pas de neige alors qu’on est fin janvier.
On a bien avancé, on prends le temps de manger du sanglier délicieux dans un petit restau avant de repartir.
On a la pêche dans la montée, l’effet sanglier sans doute, on traverse les remontées mécaniques, on chausse les crampons et on arrive au sommet du Grand Montrond, il y a du brouillard et de la bruine, on rate tout le paysage alors que ça ne devrait pas être mal, il paraît que l’on aurait pu voir le Mont Blanc.
Ensuite c’est épique, il reste quelques heures avant d’arriver au refuge de la Loge. Le paysage fait penser au Cheviot, sur la fin du Spine xxx, il y a beaucoup de vent et une pluie fine qui ne s’arrête jamais. On est trempé et complètement gelés. On a nos pantalons étanches dans nos sacs à dos mais on ne les sort pas. Il ne devait pas pleuvoir avant 17h et ça devait passer. Maintenant qu’on est trempé ça ne vaut plus le coup. Maintenant c’est dur, l’eau ruisselle dans nos chaussures, dans nos chaussettes étanches. Le pire c’est nos mains, complètement anquilosées, on a un mal de chien à retirer nos crampons. Après on ne se parle pas mais on se met à courir, nos sacs à dos de plus de 15kg ne pèsent plus rien, courir nous réchauffe, c’est dingue et magique.
On arrive au refuge de la Loge, on est arrivé, on est content, j’ai juste oublié de dire que dans la brume on avait vu un chamois, il a regardé Domi dans les yeux, magique.
A la Loge on est très bien reçus, Franck, le patron est de très bonne compagnie. Le refuge est super, hyper rustique et simple, très « à l’ancienne », comme dans les bronzés font du ski. Il n’y a que nous ce soir là, heureusement que nous avions prévenu.
Franck a plein de trucs à nous raconter, sur le village, sur l’avenir incertain de son refuge, sur l’expédition de spéléologues qui a essayé de trouver de l’eau pour alimenter une usine de neige artificielle, sur les loups qui ne font que passer là car il n’y a pas d’eau dans ce massif calcaire.
Mon téléphone rend l’âme, pourtant je l’avais bien protégé dans une poche de ma veste, ça m’embête, je ne peux plus ni prendre de photos ni prendre de notes pour ce compte rendu.
J6 – La Loge – La Poutouille – 16km – 861m de D+
C’est la plus belle journée de la semaine, presque aussi géniale que celle sur le Honeck dans les Vosges. Il fait très beau, on évolue sur une vraie crête sans arbres, vue sur Genève et le Mont Blanc. Il ne fait pas très froid mais il y a beaucoup de neige, parfois c’est une petit peu exposé, il n’aurait pas fallu être là un jour sans visibilité.
On passe au Crêt de la Neige (1720m) et au Reculet (1719m). On croise un troupeau de plus de 40 chamois, pas un seul être humain sur le chemin à part une traileuse au Reculet.
Très belle journée, paysage époustouflant mais finalement pas grand chose à dire, c’est bizarre.
Comme c’est une petite étape, on arrive vite et frais à la Poutouille. La Poutouille est une cabane extraordinaire, elle a été refaite par la commune, il y a de l’électricité, des lits, du bois, un poêle encore, c’est hyper clean. La nuit est étoilée, on reconnaît les 3 étoiles alignées d’Orion
J7 – La Poutouille – Bellegarde sur Valserine – 20km – 416m de D+
A matin, très beau levé de soleil sur le Mont Blanc. Le départ est très beau, on monte le Crêt de la Goutte (1621m) et ensuite c’est une très longue et ennuyeuse descente, plus de 1200m de dénivelé négatif, j’ai du mal à suivre les 2 gaillards, mon sac me fait de nouveau mal, je n’aime pas les descentes, je râle.
Peu avant Lancrans il y a une fontaine, je suis ravi, je n’avais plus une goutte d’eau.
A Lancrans on avise un bar restaurant, c’est le Bistro Gourmand, on est ravi d’y pouvoir boire une pinte de Piétra. La patronne est marrante, on sympathise, il est presque 14h mais elle nous propose quand même de manger. Le repas est délicieux, très « vieille France », des œufs en gelée avec du jambon, j’ai appris que ça s’appelait un aspic et une belle tranche de jambon au porto avec des bonnes frites à la graisse de bœuf. Domi et Manu sont ravis de cette histoire de graisse de bœuf.
Les patrons nous parlent du mauvais accueil qu’ils font aux randonneurs qui demandent qu’on leur remplisse leurs gourdes. Ils ne comprennent pas pourquoi ils ne consomment pas et pourquoi ils devraient s’emmerder à remplir ces gourdes. C’est marrant.
On arrive à Bellegarde, c’est une ville très triste, beaucoup de barres d’immeubles, plein de voitures dans le centre ville, c’est d’autant plus triste que c’est notre dernière soirée dans le Jura.